- STEPPES (ART DES)
- STEPPES (ART DES)L’art des steppes est le terme par lequel on désigne l’art animalier des éleveurs nomades qui furent maîtres de la steppe au cours d’une période qui recouvre le premier millénaire avant notre ère et le déborde assez largement. L’espace steppique s’étend approximativement sur des territoires sis entre le 40e et le 50e degré de latitude et qui vont du Danube au fleuve Jaune. Ces steppes ne couvrent pas une aire uniforme: tantôt boisées, tantôt herbeuses, elles sont autant de taches ou de rubans, plus ou moins riches, plus ou moins arides, qui courent le long des piémonts, cernent les dépressions ou relient des oasis.Chronologiquement, trois moments jalonnent l’évolution de l’art des steppes: la période préclassique du XIe au VIIIe siècle avant J.-C., illustrée par les tombes à charpentes et la culture de Karasouk; la période classique du VIIIe au IIIe siècle avant J.-C., propre aux Scythes, aux Saces et aux Tagaréens; la période postclassique du IIIe siècle avant J.-C. au IIIe siècle après J.-C., durant laquelle dominent les Sarmantes et les Xiongnu. L’ensemble de cette grande époque est précédée au IIe millénaire d’une période qui couvre l’apparition du style animalier dans les différentes cultures périphériques, et elle débouche après le début de notre ère sur la période des Grandes Invasions, moment où l’art des steppes devient l’art des Barbares, prélude, entre autres, à l’art des Turks, à l’art des Vikings, à l’art des Gengiskhanides, et dont l’art roman a conservé des traces.1. Les premières culturesÀ la fin du IIe millénaire avant notre ère, les sociétés pastorales avaient un long passé. À l’ouest, à l’estuaire du Dniepr, au IIIe millénaire déjà, la culture d’Usatovo plus encore que sa voisine ukrainienne de Tripolje (3800-2000 av. J.-C.) se spécialise dans l’élevage du gros et du petit bétail et, sans doute, dans le dressage des chevaux, comme en fait foi la découverte d’une aile de mors en os et comme l’atteste aussi une dalle de ciste (kourgane no 3) sur laquelle sont gravés un personnage, un cerf et trois chevaux. Au Caucase, la situation est comparable, mais la proximité des centres mésopotamiens, à l’art animalier bien élaboré, explique une richesse plus grande et justifie l’aspect massif et statique des motifs en forme de lions ou de taureaux du décor de Maïkop (fin du IIIe millénaire av. J.-C.) ou de Trialeti (IIe millénaire av. J.-C.).Partout ailleurs dans la steppe eurasiatique s’étaient formées, tantôt en avance tantôt en retard, des cultures mixtes d’agriculteurs et d’éleveurs. Mais on ne relève nulle part d’exemple patent d’art animalier. Toutes ces sociétés étaient pratiquement sédentaires lorsque se produisit bientôt une première transformation: par suite de l’accroissement des troupeaux, à l’alternance des pacages succéda le rythme des transhumances pour lesquelles la monte du cheval fut largement adoptée. Au début du Ier millénaire avant J.-C. la demande accrue de pâturages entraîna une seconde transformation et le semi-nomadisme fit place au grand nomadisme. Parallèlement, la recherche de nouvelles terres des uns déclencha des besoins de protection chez les autres. Les pâtres cavaliers se constituèrent en escadrons aptes certes à défendre leurs biens, mais habiles aussi à piller ceux de leurs voisins. La division des économies agricoles et pastorales devint plus marquée, la culture métallique fut implantée plus largement, enfin l’outillage et l’armement, grâce au fer, devinrent de meilleurs instruments et de paix et de guerre.En cette même période, le développement des masses nomades déclencha une forte structuration sociale. Au sein des tribus se constitua une aristocratie qui put enfin rivaliser en richesse avec celle des vieilles civilisations agricoles. Ce fut alors le début d’un carrousel de tribus qui se succédèrent à la tête de larges confédérations et qui allait rendre illustres Scythes et Xiongnu, Sarmates et Huns.Des conditions écologiques nouvelles, les échos du grand art préhistorique des chasseurs forestiers et les influences exercées par les réalisations plastiques des civilisations urbaines de l’Orient ancien devraient suffire à expliquer l’émergence d’un art des steppes. Le troublant problème posé par la culture de Karasouk reste toutefois à part.2. La période préclassique (XIe-VIIIe s. av. J.-C.)Du fait de sa situation excentrique par rapport à l’ensemble des steppes, le bassin de Minusinsk fut occupé par les Russes à partir de 1618 [cf. SIBÉRIE]. Au XVIIIe siècle, suivant l’exemple de Pierre le Grand, féru d’antiquités, les autorités russes faisaient grand cas des trouvailles archéologiques, et plus particulièrement des bronzes, armes, pendentifs ou ornements; officiels et particuliers rivalisaient surtout dans la collecte des pièces à décor animalier, et leur nombre à la fin du XIXe siècle pouvait se chiffrer par milliers. Il revint au savant soviétique Teplooukhov de fixer la première chronologie de cet immense matériel. En 1929, il proposa la date de 1000 avant J.-C. pour la première étape des civilisations de l’Ienisseï, en l’appelant culture de Karasouk. La même année, le Suédois J. G. Andersson donna le nom d’art du Suiyuan à un ensemble de pièces ramassées dans la précédente décennie aux confins de l’Ordos sur les berges du fleuve Jaune et dont le décor animalier était similaire à celui des bronzes de Karasouk. Enfin, toujours en 1929, parut le premier rapport sur les fouilles de Anyang, capitale de la dynastie des Shang (XIVe-XIe s. av. J.-C.), dont les somptueux bronzes, enfin datés, fourmillent de motifs animaliers.L’ensemble de ces pièces présentait des styles animaliers très apparentés. Les objets les plus caractéristiques sont de grands couteaux à dos courbe et au manche décoré, en ronde bosse, de tête de cervidé ou de capridé, ainsi que certains sommets de hampes ornés de bêtes dressées, les sabots joints. Leur facture, fruit d’une observation aiguë de chasseurs entraînés, se retrouve à Minusinsk sur des stèles et des piliers où se côtoient ours, béliers et cerfs. Nous avons ainsi, au seuil du Ier millénaire avant J.-C., un grand ensemble sino-sibérien qui surgit presque au même moment sur les bords de l’Ienisseï, dans quelques oasis mongoles et sur les berges du fleuve Jaune. La priorité chronologique jouant, il fallut attribuer la paternité de ce premier art des steppes aux fondeurs chinois de la fin du IIe millénaire avant J.-C. La solution la plus simple fut de supposer que des familles chinoises, fuyant les troubles des XIIe-XIe siècles, émigrèrent à l’ouest pour féconder la vieille culture d’Andronovo et susciter dans le bassin de Minusinsk la culture de Karasouk. La solution ne semble plus aussi simple aujourd’hui. Car la culture de Karasouk, mieux connue, se divise en deux groupes: le Karasoukien à proprement parler et le Lugarskien, le premier seul comportant des éléments sinisants. Les recherches sur le faciès karasoukien, appliqué au vieux fond andronovien, étendent sa marque jusqu’au Tianshan et au lac Balkaš.Quelles que soient les voies et les causes, il faut retenir qu’un puissant rayonnement du foyer chinois entraîna la formation de cultures karasoukiennes dans les centres steppiques privilégiés qui jalonnent les territoires allant du plateau de l’Ordos à celui du Pamir, au seuil même de la zone d’influence du monde iranien. Ici, bien qu’un peu plus tard, commence une même histoire, mais avec d’autres partenaires.3. La période classique (VIIIe-IIIe s. av. J.-C.)Au VIIIe siècle avant J.-C. se produit un événement de première importance en Europe: les nomades éleveurs scythes, chassés d’Asie centrale, gagnent la Russie méridionale. Ils font éclater la confédération des Cimmériens, porteurs de la culture des tombes à charpentes, se lancent dans des campagnes d’extermination ou de soutien au Caucase, en Ourartou, en Assyrie, en Médie et jusqu’en Égypte. Enfin refoulés, ils s’installent entre le Dniepr et le Don, s’organisent et règnent en maîtres sur la steppe de la mer Noire septentrionale, avant d’être eux-mêmes dominés au IIIe siècle avant J.-C. par de nouveaux venus, les Sarmates. On connaît par Hérodote le mode de vie et les croyances de ce peuple [cf. SCYTHES].Au XVIIIe siècle, les Russes découvrent dans de nombreuses tombes à tumulus (kourganes) un art métallique d’une étonnante richesse et dont les motifs animaliers sont traités en une stylisation vigoureuse qui contraste avec la monumentalité des œuvres connues jusqu’alors. Poignards, carquois, fourreaux, plaques d’ornements révèlent un assemblage de motifs zoomorphes qui va des scènes de combats aux sujets isolés, de la composition la plus surprenante au traitement le plus simple. Enroulement, enchevêtrement, inversion, torsion, autant de formules qui mettent en valeur le mouvement de la bête, sa vitesse et sa puissance. L’accent placé sur les articulations souligne l’aspect fonctionnel des différents éléments du corps. La technique, loin des courbes arrondies que la céramique rend familières, évoque la taille du bois et ses champs à joints vifs. Style et technique rapprochent davantage cet art de celui des forestiers du Nord que de celui des potiers du Sud. Et pourtant les éléments propres à la Grèce et à l’Asie Mineure y sont nombreux. Tout se passe comme si des artisans du Sud avaient mis au service d’un goût nouveau leur talent d’orfèvres, en y mêlant des sujets de leur répertoire particulier.Les études chronologiques des années 1960 ont dégagé quatre phases principales. D’abord celle du VIIe siècle avec le kourgane de face="EU Caron" ォabotine, dont l’inventaire aux motifs de chevaux, moutons et autres animaux domestiques porte encore la marque de la monumentalité des œuvres d’Asie Mineure. Puis vient le VIe siècle avec les sites de Kelermès et Kostromskaja, où l’influence méridionale s’accroît dans un répertoire qui s’augmente, entre autres, de bouquetins et de griffons et de la technique d’incrustation de pierres variées. C’est ensuite l’âge d’or du Ve siècle, où l’influence gréco-ionienne se fait jour, avec une complexité plus grande des sujets et l’apparition de scènes de combat, telles les pièces de face="EU Caron" ォouravka et d’Oul. Enfin au IVe siècle apparaît une dernière phase encore plus hellénisée, avec une prédilection pour l’ajout d’un décor floral classique, comme à face="EU Caron" アertomlyk, Solokha ou Kul oba.Sources de l’art scytheLes trouvailles des kourganes illustrent tant l’art des artisans grecs ou ioniens que celui des Scythes. Si les grands vases et la grande orfèvrerie peuvent revenir aux premiers, on peut attribuer aux seconds les ornements de harnais, les sommets de hampes, les décors de chars et les pendeloques vestimentaires. Les motifs les plus fréquents sont le cerf, la panthère, l’élan et le bouquetin; plus rares sont les sangliers, les moutons, les chevaux et les poissons. Tous ces animaux étaient autant de symboles magiques dont la répétition pouvait entraîner la bonne fortune. Dans certains cas, d’autres animaux, traités en motif secondaire, venaient amplifier la valeur bénéfique de l’objet.À ne regarder que l’art scythe, tout semble faire croire qu’à l’influence des Chinois, instigateurs de l’art animalier du bassin de Minusinsk, correspond à l’ouest une influence stimulatrice des cultures iraniennes, de la Transcaucasie ou du Louristan, sources de l’art de la Pontide septentrionale. Dans la zone de l’Est, en effet, à Minusinsk, la culture de Karasouk est remplacée par la culture de Tagar, dont la richesse et la qualité de l’art animalier, avec des sommets de poignée ou de hampe couronnés de rondes-bosses d’une vérité saisissante, rejoignent l’expressionnisme animalier qui en Chine remplace la majesté imposante de l’art des Zhou des IXe-VIe siècles avant J.-C.Il en est de même pour l’art de l’Ordos. Des fouilles ont révélé de nombreuses plaques à décor zoomorphe, que l’on peut dater des Ve-IIIe siècles avant J.-C.; un grand nombre d’objets de style animalier y ont été ramassés depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Ils sont si proches de ceux trouvés à Tagar qu’on est tenté de les confondre en une seule région artistique, qui embrasserait aussi la Mongolie septentrionale. Ici, des sépultures relevant de la culture des tombes à dalles (VIIe-IIe s. av. J.-C.) sont bordées de stèles toutes chargées d’un décor animalier où prime le cerf, tel qu’il apparaît aussi dans le bassin de Minusinsk ou dans le Touva. Cette vaste zone orientale, à riche production métallurgique, semble se développer loin des centres iraniens ravagés par les campagnes scythes, tel celui de Ziwié dont l’art est un heureux mélange de traditions iraniennes et d’un style steppique. En fait, un lien assure la continuité: c’est le domaine des Altaïens et des Saces.L’AltaïAu VIIIe siècle avant J.-C., dans le massif de l’Altaï, se forme la culture de Maïemir, dont la richesse du mobilier funéraire, avec ses couteaux et ses flèches à ornements de bronze ou d’os, atteste un haut niveau artisanal. L’existence de mors en étrier, que les Scythes n’emploieront qu’au VIe siècle, permet de penser que nous sommes dans la patrie originelle de ces tribus. Enfin, c’est ici qu’apparaissent les immolations de chevaux dont la pratique gagne toute la steppe. Face aux agriculteurs qui cultivent les piémonts, les éleveurs du haut Altaï, profitant de bons pâturages, s’enrichissent et deviennent les seigneurs. C’est l’époque des grands kourganes de Pasyryk (Ve-IIe s. av. J.-C.). Le contenu des tombes, exceptionnellement préservé par une température qui a maintenu des siècles durant une chappe de glace protectrice, a révélé d’innombrables richesses. Les rapports des célèbres fouilles de S. I. Rudenko et M. P. Griaznov présentent un impressionnant tableau de trouvailles.Les grands kourganes peuvent avoir quelque 35 m de diamètre et 4 m de hauteur. Le kourgane no 2 de Pasyryk est formé de l’amoncellement de pierres mélangées à de la terre. Sous ce tumulus se trouvent deux petites chambres funéraires mesurant de 4 à 5 m de côté et 1,50 m de haut, faites de rondins et de poutres. Sur la face nord à l’extérieur étaient allongés sept chevaux, immolés. Faisant partie du harnachement, des ailes de mors, des chanfreins et des boutons en bois étaient ornés de têtes de bouquetins, d’oiseaux ou de félins d’une stylisation hardie. Sur des tapis de selle figurent, en applications de feutre multicolore, des combats d’animaux, des élans, des griffons. La chambre elle-même était ornée de feutre noir bordé d’une frise florale. Le sarcophage monoxyle, de 4 m de long, contenait des sacoches de cuir décorées d’applications. À côté du sarcophage monoxyle était placé tout un mobilier de petites tables qui servaient à présenter les mets au défunt; sur les pieds de celles-ci, en silhouette léonine, subsistaient des revêtements d’or. Bien que beaucoup d’objets précieux et tout l’or aient déjà été emportés par des pillards d’antan, le mobilier comprenait encore une multitude d’objets évoquant la vie quotidienne de ces princes.Dans le cinquième kourgane de Pasyryk fut trouvé un char à quatre roues orné d’élégants cygnes en feutre, bourrés de paille. Dans la même tombe, il y avait un tapis de 4,5 m sur 6,5 m, orné d’une scène maintes fois répétée: un cavalier devant une divinité. L’art semble ici d’autant plus imprégné de symbolisme et de croyances que les corps des défunts momifiés ont révélé des tatouages dont les motifs et le style sont identiques à ceux de tous les mobiliers funéraires de cette culture. L’étude des types d’objets, de leur forme et de leur décor, a révélé des influences variées. Certaines armes sont très proches des prototypes scythes, les jeux de courbes de certains motifs sont issus de modèles chinois, des bronzes miniatures évoquent ceux de Minusinsk, des bijoux portent la tradition gréco-bactrienne, des coiffures, des costumes rappellent des vêtements iraniens.La date de ces tombes, qui selon les auteurs oscille entre le Ve et le IIe siècle avant J.-C., rend plausible le caractère composite de l’art de Pasyryk, à mi-chemin entre deux mondes, sans qu’on puisse en faire l’inspirateur ni des cultures de l’Est, formées aux traditions chinoises, ni surtout de celles de l’Ouest, dont les origines étaient, dans les années 1950 encore, énigmatiques.Les SacesMais en 1960, l’archéologue soviétique S. S. face="EU Caron" アernikov découvrait le «kourgane d’or» de face="EU Caron" アilikty, qui contenait plus de cinquante objets d’or, représentant principalement des cerfs (14), des aigles (9) et des panthères (29). Le site se trouve proche du lac Zaissan, à quelque 500 km au sud des kourganes de l’Altaï. Daté du VIe siècle, il est donc antérieur à Pasyryk et s’en distingue par l’absence de chevaux immolés et par de nombreux autres éléments du décor, qui rattachent son art à celui des tombes découvertes près du lac Balkaš et qui l’apparentent à la civilisation des Saces. Ceux-ci étaient alors les maîtres de la steppe du Kazakhstan et entretenaient d’étroits rapports avec les rois achéménides. De nombreux indices, telle l’orientation des morts vers l’ouest, permirent à face="EU Caron" アernikov de rapprocher les tombes saces de celles des Scythes et de justifier ainsi l’origine asiatique des Scythes et de leur art. C’est aux Saces que furent attribués de nombreux ornements et plaques d’or décorés de combats d’animaux, qui, trouvés en Sibérie au XVIIIe siècle, constituent aujourd’hui le trésor de l’Ermitage.Il n’y a plus de lacune entre l’art de la mer Noire et celui de l’Ordos: Scythes, Saces, Altaïens, Tagaréens et peuples de l’Ordos avaient bien des arts distincts et propres à chaque région, mais un même souffle, une même tension donnent à leurs œuvres une commune caractéristique «sinoscythique».Révision chronologiqueL’avance chronologique qui revenait à la Chine fut quelque peu contestée lorsqu’on s’aperçut que de nombreux éléments de comparaison pouvaient être attachés à une date plus basse; certains auteurs rajeunirent aussi le Karasouk. Des dates plus serrées situèrent les impulsions orientales de l’art animalier vers le IXe siècle avant J.-C., ce qui permit chronologiquement de redonner à l’art assyrien un rôle comparable à celui des Chinois. De nombreuses controverses continuent cependant, qui concernent essentiellement l’origine orientale ou occidentale de l’art des steppes.En fait, les problèmes sont extrêmement complexes et la vérité se situe peut-être à mi-chemin. Il est peu vraisemblable qu’une impulsion initiale soit allée une fois pour toutes d’un côté du continent à l’autre. Il s’est agi plutôt d’une série d’influences réciproques qui ont pu jouer alternativement en faveur tantôt d’une civilisation, tantôt de l’autre.L’originalité de l’art classique des steppes repose certes beaucoup plus sur l’assimilation heureuse de ces multiples composantes que sur un point de départ qui reste problématique; tant à l’ouest qu’à l’est, on pratiquait jusqu’au Xe siècle avant J.-C. une monumentalité qui n’est pas le propre du grand art des steppes.4. La période postclassique (IIIe s. av.-IIIe s. apr. J.-C.)L’économie florissante des éleveurs du premier millénaire avant notre ère entraînait une organisation administrative de plus en plus complexe, qui peu à peu rejoignait celles des civilisations sédentaires et urbaines et subissait tous les à-coups des rivalités politiques. Cependant d’autres tribus, moins fortunées, profitant de l’expérience, se groupaient et constituaient à leur tour une confédération qui se saisissait du pouvoir.Il en fut ainsi des Sarmates à l’ouest et des Xiongnu à l’est. À la différence de leurs prédécesseurs, leur culture ne résulta pas de la fusion de deux grandes traditions artistiques, celle des grandes forêts du Nord et celle des riches plaines du Sud. En une première phase, elle perpétue un style animalier ayant perdu de sa vigueur initiale et déjà encombré d’ornements floraux; dans une seconde phase se crée un art polychrome de plus en plus chargé d’éléments géométriques et végétaux. Sur ces nouveaux fonds s’exercèrent à nouveau et de façon plus vive des influences gréco-iraniennes et chinoises.Les Xiongnu et les HunsÀ partir de 1924, à Noïn-ula, en Mongolie, furent fouillés de grands kourganes princiers. Le type de sépulture est très proche de celui de la Chine: on y trouve des cercueils et des objets laqués, des soieries et brocarts, des mors en fer et des chanfreins en bronze. Mais les somptueux héritiers de l’art classique des steppes sont les tapis de laine: les combats d’animaux (rapaces attaquant des yaks ou des élans) qui s’y déploient sont certes moins fougueux que précédemment, mais ils ne sont pas moins évocateurs de la vie sauvage des plaines herbeuses.Dans le bassin de Minusinsk, la culture de Taštyk (IIe s. av.-IVe s. apr. J.-C.) traduit des transformations profondes. Les kourganes ont disparu; ne restent que des caveaux ou des fosses à incinération. Des masques mortuaires, véritables portraits placés dans les tombes, révèlent un type ethnique nouveau: à l’europoïde de Tagar succède un type fortement mêlé de traits mongoloïdes. Les restes funéraires montrent que l’économie mixte d’agriculteurs et d’éleveurs se poursuivait, avec une prédilection toutefois pour l’élevage des chevaux. Mais, ici comme en Mongolie, on est toujours en présence d’une forte dominante chinoise, malgré des bois ornés et des gravures rupestres qui gardent leur originalité.Si la poussée de la Chine est encore forte chez les taštykiens de l’Ienisseï, elle s’allège chez les Wusun du Balkaš. Le goût hunnique se manifeste, mais des traits originaux permettent de penser que la population était un groupement de tribus distinct des Xiongnu de Mongolie et de considérer celles-ci comme les éléments d’un groupe de «Huns d’Asie médiane». Les témoignages les plus brillants y sont tardifs, tels ceux de la tombe 19 de Kanattas au nord du Balkaš: tous les objets sont incrustés de grenats et d’almandine, préfigurant l’«art barbare» du haut Moyen Âge occidental.Les SarmatesLes Sarmates, appelés d’abord Sauromates, nomadisaient aux IVe-IIIe siècles avant J.-C. à l’est du Don. Si leur nom évoque la légende des Amazones avec ses contingents invincibles de femmes guerrières, c’est vraisemblablement à leur armement qu’ils durent leur puissance. Leurs combattants, porteurs de cuirasses, d’épées longues et de grandes lances, formèrent les premiers contingents de cavalerie lourde. Ceux-ci, bien armés, bien protégés, purent écraser les Scythes et les confiner dans leur réduit criméen. Leurs tombes (quelque six cents entre le Don et la Volga, quelque deux cents au nord de la mer Noire) révèlent une continuité entre leur culture, celle des tombes à charpentes et celle d’Andronovo. Comme les Huns, et pour faciliter le port nouveau du casque, ils subissaient dès l’enfance une déformation du crâne. Du Danube au Kouban, les Sarmates se substituent aux Scythes pour assurer l’exploitation des zones agricoles et la protection, par forteresses, des tribus sédentaires.La caractéristique de l’art sarmate réside dans le jeu polychrome de ses incrustations, qui combine les métaux, les pierres précieuses et les pâtes de verre. C’est ce luxe exubérant qu’affiche le trésor de Novo face="EU Caron" カerkask, sur la mer Noire, avec ses cloisonnés ou ses champlevés, ses poinçonnés ou ses grènetis.Les œuvres des premiers siècles de notre ère, malgré leur surcharge et une géométrisation abusive, restent à l’est imprégnées du mouvement que perpétue le graphisme chinois, tandis qu’à l’ouest l’anthropomorphisme gréco-romain s’affirme et les œuvres des steppes deviennent bien plus les exemples de la virtuosité des orfèvres que les illustrations du génie des animaliers de jadis.
Encyclopédie Universelle. 2012.